Saint-Jean-du-Doigt, le pardon des mendiants

Charles Géniaux

Le pardon de Saint-Jean-du-Doigt, au nord de Morlaix, a pour origine la relique d’une phalange de saint Jean-Baptiste, conservée depuis la fin du Moyen Âge. Au début du XXe siècle, cette fête religieuse et populaire attirait chaque année des milliers de pèlerins, dont bon nombre de mendiants et d’infirmes. L’écrivain Charles Géniaux (1870-1931), qui s’y est rendu, décrit l’afflux des déshérités de toutes sortes dans ce bourg du Trégor, mais aussi l’allumage du feu de la Saint-Jean et bien d’autres particularités étonnantes de cet événement à la fois sacré et profane.

Ce texte est suivi de plusieurs courts reportages sur des pardons remarquables de Bretagne : la bénédiction des bœufs de La Chapelle-des-Marais, l’exposition des saints de Locronan, la procession du feu de Guingamp, etc.

Parution: septembre 2024

  • Stéphane Batigne éditeur, 2024
  • 90 pages
  • 10 x 15 cm
  • ISBN : 978-2-493599-10-0

Extrait

Je ne vois rien encore de Saint-Jean, mais le bruit de la foule m’arrive, fondu en un mugissement endormeur. Le sentier dégringole. Sur la pente, les premiers mendiants, installés en avant-garde, guettent les pèlerins.
Devant moi, un affreux estropié, la face en zigzag, le nez perdu en un remou de chair, psalmodie ses lamentations, bras écartés. Il barre le chemin et semble le portier de ce pardon de mendiants.

* * *

Je suis en pleine mendicité. La misère se range en bataille, s’accroupit, se couche, rampe, se tord ou s’érige, fouille ou recule ; les yeux, les mains, les attitudes mendient.
Un innocent bêle sa demande et joue de ses doigts incroyablement souples. Vêtu en femme, il trépigne. Deux frères s’accotent, avec chacun une seule jambe.
Ici, l’horreur des chairs tuméfiées. Un jeune gueux, au profil rongé, et les muscles de son cou tendus comme des cordes, saute devant moi à la façon des crapauds.

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